Synodalité
Mikael Corre, Envoyé spécial permanent de La Croix au Vatican.
Samedi 5 juillet 2025
Synodalité : la nouvelle ligne de fracture au sein de l’Église
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Action du pape, diplomatie pontificale, vie de la Curie… |
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Le cardinal Joseph Zen prend place au premier rang dans l’ancienne salle des synodes, au Vatican. Ce 30 avril 2025, le vieil évêque chinois, 93 ans, s’exprime devant l’ensemble du Collège des cardinaux, réunis en congrégation générale. Nous sommes à sept jours du conclave. « La réforme est toujours nécessaire, car nous sommes des pécheurs. Mais une réforme qui altère les éléments essentiels de l’Église fondée par Jésus – une, sainte, catholique et apostolique – n’est pas une vraie réforme. » Dans une allocution appuyée, il dénonce ce qu’il considère comme une dérive grave : le processus synodal lancé par François en 2021, et dont hérite son successeur Léon XIV.
L’interpellation de Zen, évêque émérite de Hong Kong, connu pour son opposition au régime chinois et à certains choix de François, cristallise un débat profond : et si la synodalité, pensée comme un « style ecclésial » par le pape argentin, était devenue la nouvelle ligne de fracture au sein de l’Église ?
Tout commence en octobre 2021, lorsque le pape François lance un processus au nom compliqué, « le Synode sur la synodalité » : une vaste consultation mondiale, marquée par la volonté de décléricaliser l’Église et de renforcer la participation de tous les baptisés.
« Facilitateurs »
C’est parti pour quatre ans de débats entre évêques et – originalité – laïcs, dont des femmes, sur à peu près tous les sujets auxquels s’intéresse l’Église. En guise de conclusion, fin octobre 2024, quelques mois avant sa mort, le pape argentin approuve le « document final du Synode », synthèse des travaux, lui conférant la même autorité que s’il l’avait écrit lui-même. Un geste rare.
Plusieurs observateurs y voient un texte testamentaire. On y parle d’écoute, de discernement communautaire, d’intégration des femmes dans la gouvernance ecclésiale, de lutte contre les abus, de transparence financière, de transformation des structures… Mais cette volonté de réforme rencontre rapidement des détracteurs. Certains cardinaux évoquent en coulisses une « anglicanisation » de l’Église catholique. Zen, dans son allocution du 30 avril, dénonce des synodes transformés en « exercices psychologiques » contrôlés par des « facilitateurs »…
« La “conversation dans l’Esprit” est une méthode inventée par des jésuites canadiens, non pas pour aider au discernement, mais pour calmer les esprits avant la discussion », dénonce le cardinal Zen, non convié à ces sessions de travail. « Le document final du Synode est flou, sans auteur clairement identifié, ajoute-t-il. Il a été accepté par le pape et fait partie du magistère. Il doit maintenant être mis en œuvre localement de façon expérimentale. Mais pourra-t-on revenir en arrière après des années ? Comment préserver l’unité de l’Église catholique ? »
Un devoir
Pour le cardinal chinois et d’autres détracteurs de François, ce dernier aurait dénaturé le Synode des évêques, institué par Paul VI, et pensé, décrit Joseph Zen, « comme une sorte de prolongement (en miniature) du concile (Vatican II), un instrument de collégialité pour recueillir le conseil autorisé des évêques ». Au Vatican, plusieurs n’ont pas digéré que les débats d’octobre 2023 et 2024 n’aient pas été réservés aux évêques, mais ouverts à des femmes.
Élu en mai 2025, le nouveau pape Léon XIV hérite d’un processus déjà bien avancé. Et d’un calendrier : celui d’une phase de mise en œuvre courant jusqu’en 2028, approuvée par François depuis… l’hôpital Gemelli. Une lettre du 15 mars 2025, signée du cardinal Mario Grech, secrétaire général du Synode, précise que l’engagement dans ce « chemin synodal » « ne relève pas d’une option mais d’un devoir » pour les diocèses.
Que fera le nouveau pape, dont les premiers pas révèlent une certaine prudence, au sujet de cette réforme qu’il sait controversée ? Fin juin, lors de la première réunion du conseil ordinaire du secrétariat général du Synode sous son pontificat, il a semblé confirmer la démarche. « La synodalité est un style, une attitude qui nous aide à être Église », a-t-il déclaré, précisant que « le Synode des évêques conserve naturellement sa physionomie institutionnelle », comme pour marquer la continuité…
Intensité inédite
En même temps, la remise des conclusions des groupes d’étude mis en place par François a été repoussée. Ces derniers sont censés se pencher sur des sujets sensibles : diaconat féminin, critères de sélection des évêques, « questions doctrinales, pastorales et éthiques controversées »… Initialement attendus pour juin, ils pourront être remis jusqu’à la fin décembre 2025. Un report technique, justifié par le changement de pontificat ? Le secrétariat général du Synode l’explique par l’interruption forcée des travaux pendant trois semaines entre la mort de François et le conclave. Mais selon nos informations, plusieurs groupes avaient cessé de travailler dès l’entrée à l’hôpital du pape argentin.
Pendant ce temps-là, dans les diocèses, la phase dite« d’accompagnement et d’évaluation » bat théoriquement son plein. Des équipes synodales sont censées être constituées, des sessions de formation lancées, des « écoles de synodalité » installées. Mais nombre d’évêques attendent. Que dira Léon XIV ? Validera-t-il, en 2028, les orientations proposées par le document final ? Ira-t-il plus loin ou reviendra-t-il sur certains choix ? C’est l’espérance du cardinal Zen : « Il y va de la vie ou de la mort de l’Église fondée par Jésus », dit-il, appelant à une rupture nette.
C’est peut-être là, dans cette tension, qu’émerge la nouvelle ligne de fracture. La synodalité n’est plus seulement une méthode : elle est devenue une vision ecclésiologique, contestée ou défendue, avec une intensité inédite depuis le Concile.
L’automne prochain, une nouvelle réunion du conseil synodal est prévue à Rome. Les regards se tourneront alors vers Léon XIV. D’ici là, le pape aura eu le temps d’observer, de recevoir les premiers rapports intermédiaires, d’écouter. Mais aussi de choisir : conforter la dynamique lancée par son prédécesseur, ou l’atténuer.
Source : LaCROIX