Funérailles du pape
Notre récit du dernier voyage de François
Mikael Corre, Loup Besmond de Senneville, Matthieu Lasserre et Charlotte de Frémont, à Rome - Publié le 26 avril 2025
/image%2F0485416%2F20250426%2Fob_3d92be_a-la-fin-de-la-messe-le-cercueil-du.png)
D’une basilique à l’autre. À Rome, samedi 26 avril, les quatre envoyés spéciaux de La Croix ont suivi le dernier hommage rendu au pape François sur la place Saint-Pierre et puis jusqu’à la basilique Sainte-Marie-Majeure. 400 000 personnes ont assisté à ses funérailles, selon les autorités.
Le pape François est encore là. Après une dernière marque d’affection au-dessus de son cercueil de ses proches, dont son infirmier personnel, Massimiliano Strappetti, qui aura reccueilli ses dernières paroles au terme d’un ultime bain de foule dimanche 20 avril – « merci de m’avoir ramené sur la place (Saint-Pierre) » –, quatorze paires de bras empoignent le brancard dans l’immense chœur de la basilique Saint-Pierre. La scène est retransmise sur les écrans de la place, où se sont massés des dizaines de milliers de fidèles sous un soleil printanier. La foule se tait. Sous l’immense coupole de 42 mètres de diamètre, cela fait quatre jours que le corps de François est exposé – 150 000 personnes s’y sont déplacées depuis mercredi 23 avril.
La veille des funérailles dans la soirée, son cercueil a été scellé. Un document retraçant sa vie (« rogito ») y a été déposé. « (À Buenos Aires) il habitait dans un appartement et se préparait lui-même son dîner, car il se sentait comme un parmi d’autres », est-il rappelé. Ce samedi 26 avril 2025, au matin de ses funérailles, le cercueil remonte au pas lent des porteurs la longue nef de la plus vaste église du monde. Les cardinaux s’y sont alignés tout le long, en deux rangées et habillés de rouge, la couleur des martyrs. 220 sont là, sur 252.
Côté Français, sont présents Philippe Barbarin, François Bustillo, Dominique Mamberti, Christophe Pierre et Jean-Marc Aveline, devant qui le cercueil passe maintenant. Lors d’une messe célébrée à Rome jeudi 24 avril, l’archevêque de Marseille avait tenu à saluer un « immense pontificat ».
Dehors sur la place où la foule s’est massée, les cloches sonnent à toutes volées. Le glas. Interrogée, une Texane décrit François : « Pour nous, il représentait la gentillesse, la compassion, et l’inclusion ». Avant de sortir sur le parvis, le cercueil en bois clair passe devant l’endroit où deux chaises rouges venaient d’être installées à la hâte. L’une pour Donald Trump, l’autre pour Volodymyr Zelensky. Assis l’un en face de l’autre, les deux présidents échangèrent durant quinze minutes après s’être recueillis devant lui. Une rencontre discrète près de la Pietra de Michel-Ange. « Constructive », selon Kiev. « Très productive », a dit la Maison-Blanche.
Tout pardonner
Une contre-proposition de cessez-le-feu aurait été présentée par l’Ukrainien, qui a aussi rencontré Emmanuel Macron, le britannique Keir Starmer et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Rome, capitale du monde ce matin. Vladimir Poutine, visé par un mandat d’arrêt international, n’est pas venu, seulement représenté par une ministre de second rang et une délégation de l’Église orthodoxe russe, dont son numéro deux, le métropolite Antoine de Volokolamsk. Mais qui sait. Peut-être que François aura inspiré, le jour de ses obsèques, cette paix pour laquelle il a si souvent plaidé. Il aura mentionné la guerre en Ukraine plus de 200 fois, lors de ses Angélus du dimanche.
Sous les pas des porteurs, les dalles de marbre continuent de résonner. Une clameur. François est sorti. Ce sera son dernier passage sur la place. Le début de son dernier voyage.
Porté devant l’autel, un évangéliaire est déposé sur le bois clair par Mgr Giovanni Ravelli. Son cérémoniaire avait lu, dimanche 20 avril, le dernier texte qu’il avait écrit. Alors que l’Église célébrait la résurrection, François, apparu épuisé à la loggia, y témoignait de sa « certitude que nous sommes nous aussi appelés à participer à la vie qui ne connaît pas de déclin, dans laquelle on n’entendra plus le fracas des armes ni les échos de la mort. »
Le livre posé sur son cercueil est immobile, le vent ne se lève pas. En tout cas pas suffisamment pour en faire tourner les pages comme lors des funérailles de Jean-Paul II, mort en 2005 très peu de temps après Pâques, comme lui. Au micro, l’un des derniers cardinaux actifs du temps du pape polonais commence son mot d’accueil. Acte pénitentiel. Kyrie. Les textes de la liturgie ont été délicatement choisis. Lu en anglais, un extrait des Actes des Apôtres (10, 34-43) évoque le pardon des péchés. « Il faut pardonner tout et toujours, tout pardonner », avait dit François aux prêtres, en Corse, le 15 décembre 2024.
Lue en espagnol après le Psaume 22 (« Le Seigneur est mon berger »), la lettre de Paul aux Philippiens (3, 20 – 4,1) évoque une religion au-delà des nations, une « citoyenneté des Cieux ». Dans l’Évangile tirée de Jean (21, 15-19), Jésus fonde symboliquement l’Église, adaptant l’exigence qu’il demande à un Pierre faillible, imparfait et néanmoins « berger de mes brebis » et premier pape de l’histoire. C’est symboliquement au-dessus de son tombeau qu’était exposé dans la basilique le corps de son 266e successeur.
Après les scandales qui avaient émaillé la fin du pontificat de Benoit XVI, François a voulu mettre de l’ordre dans le gouvernement de l’Église, qu’il a profondément réformé. Sans hésiter à dire aux cardinaux de la Curie leurs quatre vérités, comme ce 23 décembre 2014 lorsqu’il leur avait vertement diagnostiqué un « Alzheimer spirituel ».
Naufrage
Encore des applaudissements, ce samedi. Alors que des drones passent au-dessus de la place, cernée par les plateaux des télévisions et radios installées sur les toits ocre des environs, et par les photographes installés en haut de la colonnade de Bernin – près de 4 000 journalistes se sont accrédités à la Salle de Presse du Saint-Siège depuis sa mort le 21 avril – le cardinal Giovanni Battista Re termine l’homélie. « Le pape François avait l’habitude de conclure ses discours et ses rencontres en disant : ‘’N’oubliez pas de prier pour moi” », rappelle l’Italien de 91 ans.
La place s’embrase, comme elle vient de le faire à quelques reprises : lorsque le doyen du Collège des cardinaux a parlé de François comme d’« un pape parmi les gens, avec un cœur ouvert à tous » ; de celui qui a voulu faire de l’Église « un hôpital de campagne », capable de « se pencher sur chaque homme, au-delà de toute croyance ou condition ».
Assis près d’Emmanuel Macron dans les rangs des officiels, où le noir est seulement tranché par les habits des hallebardiers de la garde suisse, Donald Trump, a-t-il entendu, quand Giovanni Battista Re rappela les gestes et exhortations de François en faveur des réfugiés et des personnes déplacées, et en particulier cette messe célébrée en février 2016 à la frontière entre le Mexique et les États-Unis ? En présence du président américain non italophone d’autres leaders présents auront en tout cas été rappelé par son engagement en faveur des pauvres et des migrants. D’ailleurs, les familles syriennes ramenées par François à Rome de son voyage sur l’île de Lesbos en 2016 étaient là. En 2021, lors d’un nouveau passage sur l’Île grecque, le pape défunt avait lancé cet appel à l’Europe. Contre l’indifférence, signe disait-il d’un « naufrage de la civilisation ». Tous les pays d’Europe étaient représentés ce matin, parmi 130 délégations. Ont-ils entendu ?
Pendant que l’eucharistie est maintenant distribuée en 600 points, et que le chant de communion évoque la lumière éternelle (Lux aeterna luceat ei, Domine), une tout autre logistique commence. Alors qu’à la messe qui se termine succèdent les rites propres à des funérailles papales voulues simples – c’est la tendance depuis Paul VI – une seconde foule s’est massée dans Rome, le long de quatre kilomètres de barrières.
François est à nouveau porté, place Saint-Pierre. Son cercueil est incliné – dernier salut au peuple – avant d’à nouveau entrer dans la basilique, mais pas pour y être inhumé. Presque immédiatement après la fin de la célébration, le corps du pape est placé à l’arrière d’une lourde Jeep blanche immatriculée SCV1. Ce sera, et cette fois définitivement, son dernier tour en papamobile.
Fleurs blanches
Contournant l’imposant monument dédié à Victor-Emmanuel II, la voiture blanche transportant le corps du pape passe le chantier du métro inachevé et traverse le forum romain. Puis soudain, le Colisée. Le pape en cortège le long du palatin. Impérial, sous un ciel clair de printemps, dans son cercueil de bois et de zinc. Il avait d’abord passé l’enceinte du Vatican par la porte Peruse, et longé via Gregorio VII l’immense salle Paul VI – celle-là même où François avait lancé son dernier grand projet de réforme destinée à rendre l’Église plus participative et « synodale ».
Le long des routes, des fidèles lancent des fleurs. Beaucoup de scouts sont là, de toutes les nationalités. Près de 150 000 personnes accompagnent le cortège selon les autorités. Certaines agitent des drapeaux sardes, d’autres jettent des poignées de fleurs blanches. Des policiers se signent. Quelques voix, timides, lancent des « Viva il Papa ». Avec les fidèles présents place Saint-Pierre, 400 000 personnes auraient assisté à cette journée.
Après avoir traversé les vestiges d’une Rome millénaire, le cercueil du pape François s’approche de sa destination : Sainte-Marie-Majeure. L’itinéraire est familier : avant et après chacun de ses 47 voyages apostoliques, François passait toujours par cette basilique pour saluer l’icône de la Vierge Salus Populi Romani. Fidèle à ce geste de piété, c’est ici qu’il a choisi d’être inhumé, selon son testament.
À l’approche de la façade, la Jeep blanche ralentit. Sur les marches de Sainte-Marie-Majeure, quarante pauvres, migrants, sans-abri, quelques détenus et personnes transgenres, attendent son dernier passage, une rose blanche à la main. Sous l’or du plafond Renaissance, la basilique millénaire s’ouvre pour accueillir un cinquième pape défunt. Son cercueil est à nouveau incliné face au peuple sur le parvis, puis une dernière fois à l’intérieur, devant Marie.
Toujours porté à l’épaule, il disparaît dans l’intimité d’une cérémonie censée être à huis clos mais dont le Vatican a diffusé quelques images. Entre la chapelle Paolina et la chapelle Sforza, près de cette icône de la Vierge à l’enfant dont il faisait scotcher des copies imprimées près du hublot de l’avion quand il voyageait, le corps du pape est descendu dans un tombeau de marbre ligure, sobrement gravé de son nom : Franciscus.
Source : LaCroix
Le pape François, âgé de 88 ans, est mort le 21 avril 2025. La messe des funérailles célébrée le samedi 26 avril à 10h est retransmise en direct de la place Saint-Pierre et en français sur KTO et ktotv.com. La célébration est présidée par le cardinal Giovanni Battista Re, doyen du Collège des cardinaux.