Messe de rentrée 1 octobre 2023
« Les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu ». Pour un peu Jésus prêcherait dans Playboy. Plutôt osé pour un dimanche de rentrée paroissiale mais sans doute signe pour notre année pastorale. Jésus ne dit pas cela à la cantonade. Ces prostituées, ces publicains, il les connaît, il les rencontre, il discute avec eux, il se rend même jusque dans leur maison. Car l'épanouissement du Royaume se situe précisément ici. Matthieu, le collecteur d'impôt, Marie-Madeleine, un bandit sur la croix. A la surprise et au grand dam des tenants de la loi et même de ses propres disciples, il se fait l'un des leurs. Sur la croix, il osera prendre chair de ces publicains et prostituées. Jésus va là où l'on ne veut plus aller. Il va là où l'Église elle-même n'ose plus aller. Il va là où l'Église devrait être. Les pharisiens et les scribes le lui reprochent bien. Aller là où ce n'est pas autorisé, aller là où ce n'est pas conforme. Sans doute aussi préférait-il passer son temps avec ces publicains et ces prostituées qu'avec des faces de Carême et quelques culs-bénis. Rassurez-vous, il y en a si peu dans notre paroisse.
J'aime à dire que je suis le curé de tous les Auriolais. Croyez-moi ce n'est pas une parole lancée à la légère. Grande exigence. Chemin de conversion. Qui dérange, bouscule nos façons de faire que nous estimions intangibles, intouchables. Pasteur ou grand-prêtre bien à l'abri du Sanhédrin ? Jésus a choisi. On me dit parfois : « on vous a vu parler avec un tel… ». Comme pour Jésus, il ne s'agit pas de soigner son image. Comme pour Jésus, il ne s'agit pas de vouloir plaire à chacun. On ne pourra jamais plaire à tous. Cela est normal et même légitime. Comme pour Jésus il ne s'agit pas de briller ou fanfaronner. Je n'en ai pas les capacités. Mais seuls ceux qui dans leur vie ont été si souvent injustement piétinés, y compris parfois par les grands-prêtres, savent combien ils peuvent y puiser une force pour apprendre réellement à aimer les plus petits et tenter de leur donner la première place.
L'homme de Galilée connaissait aussi le cœur endurci des pharisiens, de la soi-disant élite religieuse, incapable de changement, jusque dans son propre camp. Il s'agit pour Jésus comme pour un pasteur de rappeler que le Christ est pour tous et à tous. Paul me le redit : « ce n'est plus moi qui vis mais c'est le Christ qui vit en moi ». Jésus connaît donc la vie de ces personnes. Il n'ignore rien des abysses de chacune de ces vies. Ni naïf ni démagogue, il· est venu pour sauver. Rien que pour sauver. Les publicains tiennent le haut du panier. Ils s'enrichissent, accumulent, accumulent, dans des marges luxueuses. Les prostituées, quant à elles, sont en bas de l'échelle, dans des marges de caniveau. C'est ici que Jésus fait commencer la mission de l'Église et non pas tant au Cénacle avec les disciples. À la première place ce qui est rejeté par un monde qui prétend définir ce qu'il faut penser. Ce qui est marginalisé par un monde qui établit la normalité sous des apparences d'ouverture.
Le christianisme capacité de tressaillement comme le rappelait samedi dernier François. Le christianisme pouvoir de subversion. De renversement. « Il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles », chantons-nous dans le Magnificat. Les marginaux, les dévisagés, les décalés, les irréguliers, ceux qui ne présentent pas bien, « vous précèdent dans le Royaume ». Ce n'est pas seulement une question de placement. Ce sont eux qui en réalité nous montrent la voie à suivre. Ce sont eux qui nous ouvrent le chemin. Ce sont dès maintenant en quelque sorte les guides de ceux qui devraient les guider. Se sont-ils tous convertis d'un seul coup ? Rien ne permet de le dire. Cependant ils ont tous reconnu que leur trafic n'était pas juste et ont accepté de faire un pas dans le sens de la justice. Sont-ils parvenus d'un seul coup à ne plus faire payer ce qui doit demeurer gratuit ? Probablement pas. Cependant ils ont fait un pas dans la bonne direction, ils se sont mis en marche. Ils se mettent à émonder leur propre vigne.
Ils cherchent à se convertir. Jésus va même jusqu'à relativiser leur péché en accompagnant leur démarche de conversion. Sans pour autant les encourager à pécher. Jésus n'est dupe de rien. Rappelons-nous que pour faire pousser le blé, il ne faut pas trop vite arracher l'ivraie. On pourrait faire pire que bien. La conversion demande du temps, jamais un chemin lisse ni un état acquis une fois pour toute. Alors pour être ami de Jésus, suffirait-il de gagner beaucoup et de tomber dans la prostitution ? Sûrement pas. Ce n'est pas ce que dit l'Évangile. Dans l'Église on ne place pas quelques spécimens de publicains ou prostituées comme on afficherait quelques spécimens issus dit-on de la diversité ou de minorités. Jésus n'instrumentalise personne. Il ne se sert de personne pour parvenir à ses fins. Mais il fait véritablement de ces publicains et prostituées les éclaireurs de l'Évangile. Signes de contradiction pour prétendants au titre de bons chrétiens. D'ailleurs un bon chrétien ça n'existe pas et ça ne peut pas exister.
Nous avons longtemps estimé que la mission de l'Église consistait à dire au monde ce qu'il devait faire. Plusieurs décennies après, la courbe de la pratique religieuse ne s'est guère arrangée et l'hémorragie vertigineuse. Aujourd'hui, l'Église ne peut que se laisser changer et transformer par les publicains et les prostituées. Si l'Église en est là aujourd'hui, c'est qu'elle n'a pas voulu se convertir. On a préféré écouter des stars, des gourous, des séducteurs, des guérisseurs, tout en restant sourd à l'humble et fragile voix de Jean-Baptiste mais si évangélique pour le coup. Combien de Jean-Baptiste ignorés dans l'Église dont on aurait peut-être dû pourtant faire davantage cas de leur petite voix prophétique ?
Un rassemblement s'ouvrira dans quelques jours à Rome autour du Saint-Père jusque fin octobre, décisif pour la mission de l'Église et son avenir. Pour nous-mêmes et à l'ouverture de cette année pastorale, moi avec vous, cette question nous est posée : voulons-nous réellement nous convertir ? Attendons-nous véritablement d'être sauvés dans chacune de nos vies ? J'ai encore à grandir pour être véritablement ce curé de tous les Auriolais et Auriolaises. C'est à vous de m'y aider et vous le faites déjà si bien : « Il disait, tu vois ce ciel/C'est un bout de toile grise/Il y a moins de soleil/Que dans le chœur d'une église » chantait Gérard Lenorman. Voilà notre ligne de conduite. Les anciens auront retrouvé la chanson.
Bonne année pastorale à tous.