VENDREDI SAINT

Publié le par CERCLE SAINT-PIERRE

Aujourd'hui 2 avril, pour le vendredi saint, nous vous proposons un texte de Charles Péguy :

Le Porche du Mystère de la deuxième vertu est une œuvre poétique de Charles Péguy (1873-1914) écrite en 1911 et 1912, qui précède Le Mystère des Saints Innocents (1912) et succède au Mystère de la charité de Jeanne d'Arc (1910).

Dans l'œuvre, Charles Péguy laisse la parole à Dieu qui s'exprime à travers la voix de Madame Gervaise dans un long monologue. Parmi les trois vertus théologales, la Foi, l'Espérance et la Charité, Péguy considère l'Espérance comme « la plus difficile et la plus agréable à Dieu », la foi comme la charité étant facilement accessibles aux hommes. C'est à travers l'image d'une « petite fille espérance » qui « s'avance entre ses deux grandes sœurs » que Charles Péguy définit cette deuxième vertu1. L'espérance est un guide pour les deux autres vertus. Symbolisée par l'enfance, l'espérance est celle qui voit au-delà du présent, celle qui avance dans l'innocence, avec assurance vers l'avenir.

La mise au Tombeau, tableau du Caravage, musées du Vatican

Vous trouverez les textes de la célébration du Vendredi Saint dans le lien ci-dessous.

Pour télécharger les textes de la célébration du Vendredi Saint cliquer sur [pdf] VENDREDI SAINT

Le porche du mystère de la deuxième vertu

Ô douce, ô grande, ô sainte, ô belle nuit, peut-être la plus sainte de mes filles, nuit à la grande robe, à la robe étoilée
Tu me rappelles ce grand silence qu’il y avait dans le monde
Avant le commencement du règne de l’homme.
Tu m’annonces ce grand silence qu’il y aura
Après la fin du règne de l’homme, quand j’aurai repris mon sceptre.
Et j’y pense quelquefois d’avance, car cet homme fait vraiment beaucoup de bruit.
Mais surtout, Nuit, tu me rappelles cette nuit.
Et je me la rappellerai éternellement.
La neuvième heure avait sonné. C’était dans le pays de mon peuple d’Israël.
Tout était consommé. Cette énorme aventure.
Depuis la sixième heure il y avait eu des ténèbres sur tout le pays, jusqu’à la neuvième heure.
Tout était consommé. Ne parlons plus de cela. Ça me fait mal.
Cette incroyable descente de mon fils parmi les hommes.
Chez les hommes.
Pour ce qu’ils en ont fait.
Ces trente ans qu’il fut charpentier chez les hommes.
Ces trois ans qu’il fut une sorte de prédicateur chez les hommes.
Un prêtre.
Ces trois jours où il fut une victime chez les hommes.
Parmi les hommes.
Ces trois nuits où il fut un mort chez les hommes.
Parmi les hommes morts.
Ces siècles et ces siècles où il est une hostie chez les hommes.
Tout était consommé, cette incroyable aventure.
Par laquelle, moi, dit Dieu, j’ai les bras liés pour mon éternité.
Cette aventure par laquelle mon Fils m’a lié les bras.
Pour éternellement liant les bras de ma justice, pour éternellement liant les bras de ma miséricorde.
Et contre ma justice inventant une justice même.
Une justice d’amour. Une justice d’Espérance. Tout était consommé.
Ce qu’il fallait. Comme il avait fallu. Comme mes prophètes l’avaient annoncé. Le voile du temple s’était déchiré en deux, depuis le haut jusqu’en bas.
La terre avait tremblé ; des rochers s’étaient fendus.
Des sépulcres s’étaient ouverts, et plusieurs corps des saints qui étaient morts étaient ressuscités.
Et environ la neuvième heure, mon Fils avait poussé
Le cri qui ne s’effacera point. Tout était consommé. Les soldats s’en étaient retournés dans leurs casernes.
Riant et plaisantant parce que c’était un service de fini.
Un tour de garde qu’ils ne prendraient plus.
Seul un centenier demeurait, et quelques hommes.
Un tout petit poste pour garder ce gibet sans importance.
La potence où mon fils pendait.
Seules quelques femmes étaient demeurées.
La Mère était là.
Et peut-être aussi quelques disciples, et encore on n’en est pas bien sûr.
Or tout homme a le droit d’ensevelir son fils.
Tout homme sur terre, s’il a ce grand malheur
De ne pas être mort avant son fils. Et moi seul, moi Dieu,
Les bras liés par cette aventure,
Moi seul à cette minute père après tant de pères,
Moi seul je ne pouvais pas ensevelir mon fils.
C’est alors, ô nuit, que tu vins.
Ô ma fille chérie entre toutes et je le vois encore et je verrai cela dans mon éternité
C’est alors ô Nuit que tu vins et dans un grand linceul tu ensevelis
Le Centenier et ses hommes romains,
La Vierge et les saintes femmes,
Et cette montagne, et cette vallée, sur qui le soir descendait,
Et mon peuple d’Israël et les pécheurs et ensemble celui qui mourait, qui était mort pour eux
Et les hommes de Joseph d’Arimathie qui déjà s’approchaient
Portant le linceul blanc.

Charles Péguy

Publié dans Divers

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