Mgr Aveline : Marseille, une étape dans le pèlerinage méditerranéen du Pape

Publié le par CERCLE SAINT-PIERRE

Le Pape François et Mgr Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, le 9 avril 2021 au Vatican.

Le Pape François et Mgr Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, le 9 avril 2021 au Vatican.

Le Pape François a rencontré durant près d’une heure l’archevêque de Marseille, Mgr Jean-Marc Aveline, vendredi 9 avril au Vatican. Une première audience dense entre le Saint-Père et l’archevêque de la cité phocéenne, qui ont évoqué ensemble, «comme des pasteurs», tout l’intérêt d’une «théologie de la Méditerranée», et comment Marseille s’y intègre pleinement.

Entretien réalisé par Delphine Allaire – Cité du Vatican

Fraternité, amitié, dialogue interreligieux, périphéries, piété populaire, ou encore une certaine manière de vivre… Avec son identité très affirmée, Marseille, la deuxième ville de France et la plus ouverte sur la Méditerranée, porte en son sein nombre de qualités qui trouvent un écho certain chez le Souverain pontife argentin.

L’archevêque de Marseille, Mgr Jean-Marc Aveline, venu à Rome rencontrer le Pape ce vendredi matin pour «nourrir des réflexions» et «faire mûrir un discernement» sur tous ces sujets communs aux pays du pourtour méditerranéen, confirme que le Saint-Père considère Marseille «comme la porte d’entrée» assurée pour un voyage en France.

La cité phocéenne incarne donc logiquement «l’étape supplémentaire» de ce long pèlerinage du Pape accompli en Méditerranée, depuis Lampedusa en 2013.

Mgr Aveline raconte à Radio Vatican ce face-à-face érudit et fraternel, qu’il décrit comme «un vrai moment spirituel».

Comment s’est déroulée cette audience avec le Pape François? Était-ce pour vous la première, sous cette forme au Vatican, depuis que vous êtes à la tête du diocèse de Marseille?

C’est même la première fois de ma vie que je rencontre un Pape comme ça, seul à seul, pendant presque une heure… C’était un très bel événement. J’avais déjà eu l’occasion de discuter avec lui, mais dans des cadres plus vastes. C’était la première fois que l’on avait un temps pour une audience tranquille. Je suis encore sous le coup de cette expérience. Finalement, ce n’était pas une rencontre de travail mais une expérience spirituelle, de pasteur à pasteur. Un peu comme lorsqu’en tant qu’archevêque, je reçois les prêtres qui me parlent de leur mission, que j’écoute, j’encourage et essaye de discerner avec eux; là, c’était le Successeur de Pierre que j’allais rencontrer pour lui parler de ma mission à Marseille, de la façon dont je l’exerce, lui demander des conseils, discerner avec lui. Un moment d’ordre spirituel.

Il n’y a aucun calendrier, aucune confirmation, mais comment le Saint-Père accueille-t-il l’invitation officielle lancée par les autorités politiques et ecclésiastiques à venir en France?

J’ai bien compris que, pour lui, la porte d’entrée, c’est Marseille. C’est clair. Nous avons donc discuté sur le sens que pourrait revêtir cette étape "Marseille" dans son long pèlerinage méditerranéen. Depuis le début de son pontificat, en commençant par Lampedusa, jusqu’à l’Irak, Ur en Chaldée le mois dernier, il y a eu beaucoup d’étapes: l’île de Lesbos, Rabat, Jérusalem, Tirana... J’ai refait un peu tout ce long pèlerinage depuis le début, et l’on voit bien qu’il y a à chaque fois des accents et thèmes récurrents.

J’ai donc cherché quel sens pourrait avoir une étape supplémentaire à Marseille, nous en avons parlé, et parmi les choses que je lui ai dites, il y a le fait que Marseille est peut-être l’une des dernières villes cosmopolites du pourtour méditerranéen. Autrefois, Alexandrie l’était, Istanbul l’était, Beyrouth l’était, mais toutes sont aujourd’hui beaucoup plus unifiées culturellement. Nous, à Marseille, lui ai-je décrit, avons ce laboratoire impressionnant de présences musulmane, juive, arménienne, comorienne, chaldéenne, sans compter les Libanais dont nous avons aussi parlé vu les difficultés du pays actuellement.

Je lui ai expliqué la grande disparité économique qui caractérise la ville, des quartiers très riches et des quartiers très pauvres; la vitalité pastorale, missionnaire, que l’on peut trouver à Marseille. Tout cela a fait écho en lui. Lui-même avait bien perçu le rôle de Marseille dans le départ des missionnaires en bateaux, Notre-Dame de la Garde, la créativité pastorale aussi en France depuis longtemps. Il m’a parlé du cardinal Suhard, du père Jacques Loew...

Et puis troisième élément caractéristique de cette étape marseillaise dans un pèlerinage méditerranéen, c’est qu’en étant à Marseille, plus encore peut-être qu’en Italie, c’est une façon de s’adresser à l’Europe, depuis l’une des périphéries de l’Europe. La Méditerranée est une des périphéries de l’Europe. Marseille, que l’Histoire a souvent décrite comme «porte de l’Orient», et souvent aujourd’hui pratiquée par des migrants comme «porte de l’Occident», peut aussi être un lieu d’où le Pape peut s’adresser à l’Europe. Cette idée a trouvé écho en lui.

En cent ans, la Méditerranée a connu tant de bouleversements… J’ai donc aussi suggéré au Pape une réflexion: à l’image du Synode convoqué sur l’Amazonie, à portée locale et universelle, peut-être que la région Méditerranée, qui cumule les problèmes migratoires, économiques, écologiques, militaires, plurireligieux, mériterait elle aussi son Synode? La rencontre de Bari en avait été l’amorce, c’est tout un processus, une idée qui fera son chemin. Car je n’étais venu ni chercher une date, ni un agenda, mais vraiment pour réfléchir avec lui et nourrir un discernement.    

Le Pape François porte une vraie «théologie de la Méditerranée», développée lors d’un colloque à Naples en juin 2019, puis à Bari en février 2020, comment s’incarne-t-elle dans le diocèse de Marseille?

De façon très concrète, car les Marseillais d’aujourd’hui sont les immigrés d’hier. J’ai décrit au Pape toute la présence napolitaine dans la ville phocéenne. Ce mélange méditerranéen est un message, car la théologie de la Méditerranée est liée à la conception du dialogue, qui est une rencontre interpersonnelle ne pouvant se vivre qu’avec la conviction que l’Esprit Saint est déjà à l’œuvre dans toutes les personnes du pourtour méditerranéen, quelles que soient leurs convictions religieuses. Le dialogue, c’est oser confier l’Évangile à ceux qui ne le connaissent pas. On ne peut le faire que sur la base d’une relation d’amitié. Et à Marseille, il y a Lazare, Marthe, Marie-Madeleine, les amis de Jésus, qui incarnent concrètement cette notion. La qualité de la relation d’amitié, cette forme de vie, est aussi un message méditerranéen.

En quoi pour l’Église en France traversée en ce moment par des inquiétudes sur son avenir, Marseille peut-elle jouer son rôle de laboratoire des axes chers au Pape François, comme la fraternité, le dialogue interreligieux? Quelle valeur ajoutée spirituelle apporte Marseille par son identité si affirmée?

La ville de Marseille a une très grande pauvreté. L’on peut y voir un certain message dans le fait que l’amitié, les efforts que l’on fait pour mieux comprendre l’autre, sont aussi une façon de conjurer non seulement les dangers de la pauvreté, mais aussi ceux des populismes, qui se servent de la pauvreté pour induire une autre façon de voir la relation avec les personnes. C’est un thème que le Pape a abordé ce matin lors de notre entretien: comment travailler pour lutter contre les populismes qui profitent de la pauvreté, pour faire le contraire de la fraternité?

Si Marseille réussit, la France peut réussir. Même l’Europe peut réussir. À Marseille de donner l’exemple. Cela ne veut pas dire que nous sommes meilleurs que les autres, ni que cela va réussir, mais je le ressens comme une responsabilité. Et je crois qu’à l’intérieur d’eux-mêmes, les Marseillais le ressentent aussi comme cela. 

Publié dans Le Diocèse

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