Messe Chrismale 2021

Publié le par CERCLE SAINT-PIERRE

Homélie de la messe chrismale du lundi 29 mars 2021

Chers amis,

C’était jour de sabbat ce matin-là à Nazareth. Jésus, qui avait commencé son ministère public, était revenu chez lui, saluant sans doute ses parents, ses amis d’enfance, ses voisins. Comme d’habitude, il se rend à la synagogue. Il se lève et se propose pour faire la lecture. Il s’agit d’un passage du livre d’Isaïe, celui-là même que nous avons écouté tout à l’heure, en première lecture : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur ». Après avoir lu ces quelques mots, déjà maintes fois entendus par une assemblée plus ou moins assoupie, comme le sont parfois les nôtres, surtout quand, comme aujourd’hui, il a fallu se lever de bonne heure, Jésus donc, concentrant sur sa jeune personne les regards incrédules de la vieille assemblée, révèle qu’en lui, aujourd’hui, s’accomplit ce passage de l’Écriture.

Les auditeurs, d’abord, s’étonnent « du message de grâce qui sort de sa bouche ». Ils sont même, au début, plein d’admiration. Mais leur attitude, nous le savons, va bien vite changer et cette rencontre qui a commencé dans la joie va se terminer par une expulsion. Et nous, qui connaissons la suite du récit évangélique, nous comprenons que, cet épisode condense à lui seul ce que sera la trajectoire du ministère de Jésus. Nous pouvons, en effet, faire défiler en notre mémoire tous ces moments où Jésus a, effectivement, mis en pratique cette feuille de route initiale : les pauvres et les malheureux dont il s’est fait si souvent l’ami et le défenseur, les malades qu’il a guéris, les possédés qu’il a libérés, les pécheurs dont il s’est approché et qu’il a pardonnés. Et nous nous souvenons aussi des paraboles qu’il a racontées pour bien faire comprendre à des auditoires, tantôt séduits tantôt sceptiques, la bonté infinie du cœur de Dieu pour les plus petits.

Mais hier, lors de la liturgie des Rameaux, nous avons entendu le rejet, la condamnation, puis la douleur, la souffrance et le cri de désespoir du Christ crucifié : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » De neuf heures du matin à trois heures de l’après-midi, ainsi que saint Marc nous l’a précisé, il est resté sur cette croix, les clous transperçant comme des poignards ses mains et ses pieds, son dos flagellé le faisant souffrir chaque fois qu’il l’appuyait sur la poutre afin de se relever un peu pour faire entrer de l’air dans ses poumons. Six heures, seul, abandonné, cherchant peut-être des yeux, pour un peu de réconfort, cet aveugle qu’il avait guéri un jour en entrant à Jéricho, ou bien cette femme à qui il avait pardonné alors qu’elle avait été surprise en flagrant délit d’adultère et qu’on allait la lapider, ou bien ces lépreux qu’il avait guéris, cette jeune fille à qui il avait rendu la vie… Mais où sont-ils, tous ceux-là ? Où sont-ils, ses apôtres bien aimés ? Où est-il, ce Pierre qui faisait tant le vaillant ? Il n’y a plus personne ! Un centurion de l’armée romaine, quelques soldats, et au loin la foule qui regarde puis se lasse et s’en va car il ne se passe rien et le spectacle est décevant. Plus personne ! Sauf là, d’abord à distance puis de plus en plus près, sa mère, quelques femmes, et le disciple bien aimé. « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Et Dieu n’a pas réagi… ou plutôt, dans le geste d’abandon confiant du Fils entre les mains de son Père, Dieu nous a montré le seul chemin du salut : non pas la magie d’un miracle ni le feu d’artifice du sensationnel, que la foule attendait impatiemment, mais plutôt la confiance filiale, jusqu’au bout, en la promesse du Père qui, au troisième jour, ressuscitera le Fils, et en la promesse du Père et du Fils qui, au jour de Pentecôte, enverront leur Esprit sur la jeune Église, encore balbutiante dans son berceau du Cénacle.

À l’origine de la mission du Fils, comme nous l’avons entendu dans la synagogue de Nazareth, il y a l’onction du Saint Esprit : « l’Esprit du Seigneur m’a consacré ». À l’origine de la mission de l’Église, il y a l’Esprit du Ressuscité qui, le jour de Pentecôte, descend et consacre les apôtres : « Vous allez recevoir une puissance, celle de l’Esprit Saint, qui viendra sur vous, et alors vous serez mes témoins jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8). La messe chrismale, qui nous rassemble ce matin frères et sœurs, est tout à la fois célébration de notre origine et envoi en mission. Dans cette célébration si particulière, le Seigneur nous laisse entendre qu’il est avec nous « jusqu’à la fin des temps » sur les chemins où nous conduisent toutes les croix par lesquelles nous le suivons. Cette célébration si particulière nous dit que nous pouvons toujours accueillir le Christ dans ces humbles gestes que sont les sacrements, tout au long de nos vies.

Ce matin frères et sœurs, contemplons la croix du Christ. Laissons monter en nos cœurs l’action de grâces, de ce Seigneur qui a donné sa vie pour nous, de ce Seigneur qui nous envoie en mission, de ce Seigneur qui peut-être nous aurait nous aussi cherché des yeux si nous avions vécu à Jérusalem à ce moment-là, et qui peut-être ne nous aurait pas trouvés au pied de la croix. De ce Seigneur qui pourtant nous regarde chacune et chacun ce matin pour nous dire sa confiance, pour nous redire sa joie de pouvoir nous appeler ses amis, de ce Seigneur qui nous envoie parce qu’il aime, plus que nous et déjà avant nous, tout ce peuple de Marseille à qui il voudrait que l’Evangile soit annoncé.

Chers frères prêtres et diacres, notre ministère, vous le savez bien, est tout entier ordonné au service de la dignité du peuple de Dieu. Et la dignité d’un peuple, même le plus pauvre, le plus misérable ou le plus asservi, provient de la proximité de Dieu. Dieu, en son Fils, s’est approché de son peuple et, par son Esprit, de tous les peuples de la terre. C’est la raison pour laquelle il nous faut situer notre ministère dans ce grand souffle spirituel de la catholicité de l’Église, qui tend à s’exprimer tout simplement, à travers nos pauvres vies de prêtres, de diacres, de baptisés, par la façon dont nous nous mettons au service de la proximité de Dieu avec tout son peuple.

Depuis que le Christ est mort sur la croix, nous disons, nous croyons, quoi qu’il nous en coûte, que tout homme, toute femme, est un frère, une sœur, pour qui le Christ est mort. Tout homme, toute femme, même ceux qui nous rejettent, même ceux qui nous méprisent, même ceux qui ne le connaissent pas, tout homme, toute femme, est un frère, une sœur, pour qui le Christ est mort. Ne l’oublions jamais, c’est dans le sang du Christ que naît la vocation de l’Église à la catholicité.

Voilà pourquoi, chers frères prêtres et diacres, nous devons d’abord et avant tout aimer le peuple que Dieu nous confie. L’aimer et le servir. C’est aussi le meilleur moyen de prévenir les dérives et les abus qui abîment ce peuple, spécialement les plus fragiles lorsque nous dévions de la seule façon d’exercer le pouvoir qui nous a été confié, et qui est celle du service et de l’humilité. Ce que Dieu a donné à ce peuple, sa sagesse ancestrale, son génie spirituel, les richesses de ses cultures, voilà les pierres d’attente de l’Évangile, voilà les semences du Verbe qu’il nous revient de chercher et de faire fructifier. À Marseille, nous sommes en pays de mission ! Et ici comme ailleurs, l’évangélisation ne sera jamais réductible au placage de quelques paroles extérieures à des inconnus qui resteront inconnus : non, l’évangélisation passe par le respect patient et amoureux d’un peuple, d’une terre, de cet homme-là ou de cette femme-là, qui pourra découvrir l’amitié que le Christ lui porte à travers l’amitié que moi-même, envoyé par le Christ, je m’efforce de lui offrir, dans l’ordinaire des jours.

Église de Marseille, dans le contexte si particulier de cette pandémie qui n’en finit pas, écoute une nouvelle fois le programme de Jésus au seuil de sa mission. C’est aussi le programme qu’il a fixé à son Église et qu’il te propose aujourd’hui : porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, travailler à la libération de tous ceux que la peur, la maladie, le péché, l’angoisse du lendemain, l’incertitude de l’avenir, retiennent captifs ou rendent malheureux. Le serviteur n’est pas au-dessus de son maître : puisque le Christ a été persécuté, toi aussi, tu seras persécutée. Mais n’aie pas peur et regarde devant. Car la joie d’être avec lui, la joie d’être libérée par sa vérité, la joie d’être plongée, imprégnée, trempée dans l’huile parfumée de sa miséricorde, cette joie-là, personne ne pourra te la ravir. Alors, quoi qu’il arrive, garde confiance en la promesse du Père, comme le Fils l’a fait sur la croix, pour nous montrer le chemin du salut !

Amen !

+ Jean-Marc Aveline
Archevêque de Marseille

Pour télécharger l'homélie cliquer sur [pdf] MESSE_CHRISMALE_2021

Publié dans Le Diocèse

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