Les vœux de Mgr Jean-Marc Aveline
Chers amis,
L’année dernière, à pareille époque, nous avions commencé à voir apparaître les images de ces Chinois de Wuhan, masqués et confinés, et nous regardions cela de loin, avec un peu de compassion, mais sans aucune conscience (du moins en ce qui me concerne) du danger qui, à partir de là, allait mettre à genoux la planète entière. Jamais nous n’aurions cru qu’un an plus tard, nous serions dans cette situation : incertitude la plus totale quant à l’évolution de la crise sanitaire, certitude en revanche des dégâts colossaux pour l’économie, pour l’emploi et surtout pour les familles les plus précaires. Chaque jour, les files de personnes contraintes d’aller demander l’aide la plus élémentaire pour se nourrir ou se loger s’allongent inexorablement. Chaque jour, la solitude ruine la santé et menace la survie de nombreuses personnes âgées ou isolées, dont nos confrères prêtres ou diacres. Chaque jour, les réflexes de peur et de repli sur soi condamnent à l’errance et souvent à la mort les personnes, migrantes ou réfugiées, qui ont dû fuir leurs pays encore plus abîmés que les nôtres, et ce dans une indifférence qui, elle aussi, gagne du terrain. Que nous est-il donc arrivé ? Sommes-nous plutôt vers la fin, plutôt au milieu ou à peine au début d’une tranche de l’histoire du monde qui, à cette échelle, semble bien n’avoir jamais eu de précédent ?
C’est avec ces questions, aussi vertigineuses que déstabilisantes, que nous nous apprêtons à fêter la Nativité de Notre Seigneur Jésus-Christ. Par rapport à nos voisins européens, nous avons la chance de pouvoir envisager, sauf contrordre de dernière minute, de célébrer cette fête avec nos communautés, un peu restreintes certes, mais quand même autorisées à se rassembler. Comment disposer nos cœurs pour vivre cet étrange Noël ? Étrange, en effet, à cause des discours de responsables en tous genres qui, du haut de leur piédestal médiatique, nous ont assuré jour après jour qu’ils faisaient tout pour « sauver Noël », comme si le Sauveur avait besoin d’être sauvé, comme si le sauvetage du commerce était la condition du salut du monde ! Étrange, en effet, ce Noël, pour une fois presque libéré des fièvres commerciales et rendu à l’intimité de retrouvailles familiales, mais placé toutefois sous haute surveillance à l’aide d’un discours moralisateur envahissant et presque inquisiteur ! Étrange…
Qu’allons-nous célébrer à Noël ? Dans la nuit d’incertitude et de défiance qui semble de plus en plus recouvrir notre terre, voici que nous, chrétiens, voulons fêter l’événement d’une naissance, d’une simple naissance, qui n’eut pour écho que la rumeur des bergers et la clameur des anges. Et pourtant, nous avons la faiblesse de croire qu’avec cette naissance une lumière a resplendi qui, discrètement, de chacune de nos crèches, appelle à la confiance : un Sauveur nous est né, un Fils nous est donné. Quand Dieu, se faisant nouveau-né, s’abandonne avec confiance entre les mains des hommes, comment pourrions-nous ne pas entendre son appel à Lui faire confiance ? Et n’est-ce pas là le témoignage que Dieu attend de nous dans le contexte où nous sommes ? « Quoi qu’il arrive, écrivait Charles de Foucauld à sa sœur, reste dans le calme des âmes qui placent leur confiance en Dieu et qui savent que le cœur de Jésus conduit notre vie sans nous oublier un seul instant. Tout est nuit pour nous dans l’avenir ; pour lui, tout est lumière ! » Face à l’universelle défiance qui semble prospérer en même temps que l’affolement viral de notre société, seul un solide ancrage dans la confiance en Dieu peut nous permettre de faire de la résistance : « rester dans le calme des âmes qui placent leur confiance en Dieu ». En n’oubliant pas la leçon de la crèche : c’est en nous faisant confiance que Dieu a sollicité notre confiance ! C’est en partageant notre vie qu’Il nous a fait entrer dans la sienne. C’est en devenant un fils d’homme qu’Il a montré aux hommes le chemin de la fraternité.
Chers amis, je vous souhaite un bon et confiant Noël ! Une nouvelle fois, je vous remercie pour le témoignage de votre vie quotidienne, pour le zèle pastoral que vous avez déployé ces derniers mois, dans des conditions inédites et parfois difficiles. Continuez à accueillir, consoler, encourager, relever, accompagner tous ceux qui vous sont confiés. Veillez à la communion ecclésiale, entre vous et avec tout le peuple, au nom du Christ Jésus. C’est notre bien le plus précieux, car il découle de l’Eucharistie : ne l’abîmons pas ! Visitez les fidèles et les habitants de vos quartiers : vous n’imaginez pas combien nous sommes attendus ! Merci à vous, frères prêtres ! Merci aux diacres et à leurs épouses ! Merci à vous, séminaristes du diocèse ! Merci à vous, chrétiens de Marseille et des communes environnantes ! Tous, nous pourrions en témoigner : c’est le Seigneur qui est venu nous chercher, là où nous vivions, pour nous appeler à le suivre, et c’est Lui qui, depuis ce premier appel, nous encourage par Sa fidélité. C’est Lui, le premier, qui nous a fait confiance. Son appel pour chacun, Il l’a remis entre nos mains, comme un nouveau-né s’abandonne entre les mains de ses parents. Toi qui vas contempler l’enfant de la crèche, toi qui vas peut-être liturgiquement le déposer dans la mangeoire au soir de Noël, souviens-toi que c’est son appel qu’Il a remis entre tes mains, se confiant à toi pour t’apprendre à Lui faire confiance et pour qu’à travers toi et les frères qu’Il te donne, le monde retrouve confiance et espérance.
Que la Vierge Marie, « la première en chemin », veille sur notre diocèse et sur nos ministères. Quand les contraintes nous font perdre en mobilité, qu’elle nous apprenne à gagner en intériorité. Quand nous perdons la capacité de prévoir, qu’elle renforce notre disponibilité à accueillir. Quand il nous est impossible de rassembler, qu’elle stimule notre zèle pour visiter. Et si le découragement, certains jours, s’insinue dans notre âme, qu’elle rallume en nous la flamme de la confiance et la grâce de l’espérance.
Merci pour le soutien de votre prière. Joyeux et saint Noël à tous !
+ Jean-Marc Aveline