Interview de Mgr Pontier sur l'état du Monde
Mgr Pontier est Président des Évêques de France
Les responsables musulmans en France, qui sont vos homologues religieux, sont-ils à la hauteur de l’enjeu ?
Mgr Pontier : L’un des premiers à intervenir le 14 juillet au soir est le président national du Conseil du Culte musulman, M. Anouar Kbibech. Certains vont se dire qu’il a été le premier à condamner l’attentat car il sait bien qu’on va reprocher aux musulmans d’être à l’origine de cela. Il sait également qu’on est dans ce climat où beaucoup veulent nous opposer au nom des religions. Cette porte-là, il faut qu’ensemble nous la refusions. Il y a un certain nombre de musulmans qui ont des responsabilités au plan national et qui sont dans cette posture. Et çà, c’est porteur d’espérance pour notre pays.
Quelle parole les catholiques doivent-ils porter dans cette société angoissée ?
Mgr Pontier : Je veux d’abord dire aux responsables de notre pays : Ne faites pas porter la stigmatisation sur la dimension religieuse de la vie des gens, mais au contraire appuyez-vous sur elle pour en faire un facteur de sociabilisation et de paix. En mettant en place sans arrêt une laïcité de plus en plus excluante : on le voit dans la dernière loi Travail avec un article passé presque inaperçu qui étend la neutralité désormais au domaine privé et pas qu’au domaine public, alors que jusqu’à présent c’était l’État qui était chargé de permettre et de faciliter l’expression de la liberté religieuse – on en vient à suspecter la religion d’être à l’origine de tous les malheurs du monde. Cela, j’ai vraiment envie de le dire fortement car ça prend de plein fouet tous les croyants.
S’agissant des croyants chrétiens, et catholiques, je les invite à puiser dans les trésors de notre foi. Le trésor de notre foi, ce n’est pas la condamnation de l’autre mais la fraternité. Notre foi nous dit "tout homme est ton frère". Et on ne peut pas s’engager dans un chemin différent de celui-là. Aujourd’hui il est important que nous les chrétiens soyons de ceux qui disons « tout homme est mon frère » et qui créons des lieux de rencontre, de travail ensemble, de vie associative. Nous souhaitons que la société soit comme ça mais il faut la bâtir, elle ne nous tombera pas toute cuite dessus ! Ne soyons pas de ceux qui opposent les gens mais de ceux qui fraternisent et qui font des choses concrètes ensemble. C’est dans cette mesure que nous nous estimerons.
Nice, Brexit, poussée migratoire, durcissement du régime en Turquie, candidature du populiste Trump aux États-Unis... On a l’impression que notre monde bascule vers l’inconnu, nos repères disparaissent. Où sont les raisons d’espérer ?
Mgr Pontier : Au ras du terrain ! Regardez cette masse de personnes qui s’engagent dans leur voisinage proche pour une vie plus humaine, plus respectueuse. Les raisons d’espérer sont là, beaucoup plus que dans les gesticulations de quelques candidats américains ou peut-être un jour de candidats français qui se marquent à la culotte et essaient toujours d’être plus radicaux les uns que les autres en flattant ce sentiment de peur qui habite tout homme, et qui l’habite de manière plus particulière aujourd’hui car, dans les pays occidentaux, il y a de graves crises d’ordre divers. Mais il y a aussi des choses qui vont bien, comme la prise de conscience sur l’écologie ou la dimension humanitaire que des jeunes mettent dans leur existence en s’engageant dans des projets, et j’en vois beaucoup. On voit les ressources qui existent dans le cœur des hommes et qui vont à l’encontre de tout ce mouvement négatif, y compris sur les questions européennes. Je vois même de l’espérance dans le Brexit ! Ce sont les générations âgées qui ont voté pour la sortie de l’Europe, les jeunes, eux, ont voté pour rester. Ces générations jeunes résistent à ce retour des populismes et des nationalismes.
Justement, vous partez ce dimanche aux Journées mondiales de la Jeunesse à Cracovie. Que représentent-elles ?
Mgr Pontier : C’est une profonde joie pour les jeunes d’exprimer leur foi et de la vivre sans être suspectés d’être des malades psychologiques ou des gens dangereux. Ils peuvent vivre leur foi en rencontrant des jeunes de tous pays. Ils sont pleins d’idéal et de désir pour leur avenir. C’est une belle expérience pour eux ! Et c’est ensuite une expérience spirituelle à travers les rencontres avec les communautés qui les accueillent durant cette semaine et autour des catéchèses et des grandes célébrations avec le Saint-Père. Il y a quelque chose de la grâce de Dieu qui passe dans le cœur d’une manière unique. Et puis venir aux JMJ, c’est voir le pape François avec son style simple et profond, interpellant, sans concession sur nos vies chrétiennes, tout en étant plein d’amour et de charité pour tous. Il ne condamne personne mais invite à avancer. Enfin, ces JMJ sont une rencontre de l’autre, de l’étranger, et c’est très fécond.
Quel sera votre programme cette semaine, en Pologne ?
Mgr Pontier : J’ai trois catéchèses à assurer. Ensuite j’irai rejoindre le groupe des Marseillais pour vivre et partager avec eux dans la joie, et voir ce qu’on pourrait bien faire à notre retour à Marseille. J’espère enfin aller passer quelques heures à Auschwitz pour me recueillir devant ce drame de l’histoire contemporaine. J’ai demandé à ce que les 161 jeunes Marseillais s’y rendent également.
Philippe Schmit, (La Provence)
A son retour des JMJ 2016, Mgr Pontier archevêque de Marseille s'est entretenu avec Dominique Paquier-Galliard sur son séjour en Pologne avec les jeunes du monde entier ainsi que sur les derniers évènements qui ont tristement marqué l'actualité française.